Une épaisse tranche de vie

10 août 2013. Fête de papa.

Je me sens incapable d’exprimer tout ce qui se passe entre mes deux oreilles. L’intensité de certaines expériences, le cancer de papa et son départ qui, au yeux de la médecine et de ses limites, est apparamment imminent, est telle que les mots me semblent inutiles.

Depuis des jours, j’ai l’impression de n’être qu’un coeur sur pattes. Un coeur brisé qui a envie de vivre, qui essais d’avancer, qui a envie de dire oui à la vie, et qui en même temps se refuse à accepter que celle de papa aura une fin.

Tout ça est tellement fort, il y tant à écrire sur le sujet, la tâche me semble impossible, et en même temp nécessaire — unpeu comme de pleurer un bon coup vous libère et vous permet de sourire à nouveau.

Il y a l’envie de tout déballer, d’écrire le plus long texte au monde, ou de ne rien dire, et vivre tout ça dans le silence.

Je vais écrire le plus long texte au monde.

* * *

Jusqu’à cette semaine, j’ai choisi de garder le silence, de me satisfaire de quelques allusions, de langage codé sur Facebook (#papa), d’en parler unpeu avec 2 ou 3 amies, mais rien qui me demanderait d’aller en profondeur.

Rien qui me forcerait à regarder ce qu’il y a au fond du puits. Parce que ce qui s’y trouve est affolant, inacceptable, intolérable, douloureux, monstrueux. Ça se rapproche de ce que Sigourney Weaver affronte dans Alien.

J’ai vraiment pas le goût de faire face au monstre.
Juste pas envie de regarder là.
Vraiment pas.

Mais le dénis et le silence ont un prix : la déprime, l’absence de sensations, la perte de vitalité. Ça non plus, j’ai pas vraiment envie de ça. Mieux vaut aller affronter l’affaire. Ça va être difficile, horrible, mais pas autant que de vivre avec le regret de ne pas avoir été présente à moi même.

* * *

1. Choisir un titre pour ce qui sera le plus long texte au monde.

Une épaisse tranche de vie, parce que depuis quelques semaines, les expériences dans ma vie sont lourdes. Heavé. Difficiles à digérer.

Qui a envie d’entendre parler de maladie, de cancer, de mort? Le sujet suffirait à éloigner vos amis, par peur de vous voir vous éffondrer, d’avoir à vous ramasser, et parce que votre détresse leur confirme qu’un jours ce sera leur tour, que la mort de nos parents est inévitable.

Et puis à quoi bon écrire sur le sujet quand tout ce qu’on veut c’est ne pas y penser.

Oublier. Quitte à recommencer à fumer des gauloises blondes, se gaver de séries télé poches, de fast-food végé, de vin pas bon.

Se lancer dans la course à pied ou le sport extrême, kicker des poubelles à 3 heures du matin, acheter un oneway pour le fin fond de l’Inde, parce que vous pensez qu’ya pas un maudit monstre qui vous suivra jusque làbas, qu’il préfèrera rester dans son puits au lieu de vous suivre là où on se torche le derrière sans papier, de la main gauche.

S’étourdir,
se droguer au café pour se garder high,
se trouver pleins d’autres drames qui viendront s’empiler, camoufler l’idée du départ de papa,
se garder occupée à jongler avec ces mêmes drames qui permettent d’oublier ce que vous n’avez pas le courage d’affronter.

Éviter la douleure. La contourner. La refouler.
Changer le mal de place.
L’expédier sur Mars.

* * *

La vérité est que papa va un jour, proche ou moins proche, disons peut être bientôt, mourir, sans l’avoir choisi. Sans que je l’ai choisis. Sans que je puisse le sauver.

Il a été fort, s’est battus, débattus.

Il nous a fait cadeau de sa résurection en décembre 2011, malgré le sombre prognostic d’un oncologue (qui finalement, n’est apparament même pas oncologue certifié, mais fait le travail comme si, faute de personnel qualifié à l’hopital de Victo) qui lui donnait 2 à 3 mois au plus.

Voir son père à 2 doigts de mourrir,
se débattre pour déjouer la fin,
et, entre deux bouteilles d’ensure et de fausses patates pilées,
garder son sens de l’humour, vous raconter des histoires qui vous font rire,
tout ça, ça remet vos prioritées en place.

Priorité #1 : Vivre. Sans attendre. Avec urgence. Aimer la vie.

Fuck les assurances et leur anticipation hideuse de la tragédie. Les médias qui nous gardent dans la peur de vivre pleinement. La retraite et la liberté différée. Les hypothèques. Les fausses garanties. Les jobs vide de sens. L’illusion de la sécurité et son prix.

Fuck tout ce qui nous demande de remettre notre vie à demain.

Il faut vivre, là, aujourd’hui.

* * *

En parallèle, des relations familiales sont arrivées à leurs échéances. Inévitable selon une amie, que le désarois de tous tourne en chicanes.

Des relations déjà tendues éclatent comme un élastique qui vous pète en plein visage. Du coup, vous choisissez de quitter l’autoroute, histoire de ne plus vous offrir à la critique, éviter les accidents, ne plus être disponible pour le drame, et vous donner la permission d’emprunter votre propre chemin.

Malgré le chaos de la situation, la douleure et la peine vous ouvrent le coeur, vous apprenent qu’il faut aimer les gens pour ce qu’ils sont. Pas pour ce qu’ils disent, ni ce qu’ils font.

Leur laisser la liberté d’être, et vous offrir la liberté d’être tout ce que vous désirez être.

* * *

Les 5 dernières années. La maladie de papa. Mon départ pour la France. Des liens familiaux qui s’efritent. Le temps qui file. Mes mains que je vois vieillir. Des rides qui apparaissent. Ma propre histoire qui s’écrit.

La conscience aïgue qu’avec le départ de papa, une partie de moi disparaitra.

La fille de,
l’enfant,
l’ado.

La presque adulte qui forcément deviendra adulte, parce qu’on est pas vraiment adulte tant qu’on a pas coupé le cordon qui nous relis à nos parents. Certains sont capables de le faire avant que ceux-ci disparaissents, d’autres non.

Break free. Couper le cordon.

S’offrir les permissions dont on a besoin pour aller là où l’on veut.

Break free des relations qui nous blessent, parce que tous ont changés, parce que la vie les a changés, parce que les croyances diffèrent.

Se libérer des attentes. Choisir d’être soi-même, donner priorité à sa voix, se choisir, se valider, même si ça déplait.

Se donner le droit d’exister, d’être autre chose que ce que les gens aimeraient qu’on soit.

Se libérer des drames que notre époque nous offre, laissers les gens patauger dans ces derniers autant qu’ils le veulent, sans plonger les rejoindres pour confirmer votre appartenance au groupe, pour ne pas être exclue.

Se libérer de la peur, cette drogue douce qui nous intoxique et nous permet de remettre nos rêves à plus tards, ou de carrément les éviters.

S’affranchir des peurs ancestrales, s’appartenir.

Faire tout ça parce que la paix dans le monde n’est possible que si chacuns prends soins de son bonheur. Tout passe par là, par soi. On ne peut offrir la joie que si on en fait l’expérience.

* * *

La personne que j’ai été ne sera plus la même. C’est une fin et un départ. Une mort et une naissance.

Il y a la nostalgie du passé,
l’envie de devenir.

Et puis, il y a les souvenirs.

La pitchounette qui surprenait papa occupé à sa table à dessin tard le soir,
qui allait se balader avec lui à St-Hélène de Chester,
partageant le plaisir d’un chip’n coke et fromage en grains au dépanneur de Trottier.

Celle qui l’accompagnait sur sa moto pour apprécier les paysages de campagne autour des appalaches,
et se remplir les narines d’air pur (et parfois de douces odeures de fumier),

celle à qui il a appris à cadrer un paysage pour le prendre en photo,
celle qu’il a inspiré à devenir une artiste,
à faire à sa tête, peu importe les critiques,

celle avec qui il a partagé son amour de la musique pop,
des reel irlandais, de la musique traditionnelle québecoise,

celle qui partageait son excitation le jour où la cassette de Thriller est arrivée par la poste,
celle à qui il a offert son premier Walkman et son premier Double Tape enregistreur pour faire des mix,

celle qui s’est sentie abandonnée lorsqu’il s’est éclipsé lors d’un divorce apocalyptique,
celle qu’il a vu partir et revenir maintes fois entre l’Europe et Montréal,

celle qui l’a eu pour père,
celle qui sera son prolongement quand il sera partis,

Moi.

C’est moi qui devrai vivre avec ton souvenir pendant les 50 prochaines années de ma vie,
c’est moi qui devrai gêrer mes regrets,
qui devrai faire des efforts pour que ton souvenir reste aussi précis que possible,
ta voix, nos discussions, nos intérrogations communes.

C’est toi qui de nous deux,
aura percé le premier le mystère de la vie,
et tout les autres secrets de l’univers.

C’est moi qui me batterai avec mes neurones pour qu’elles conservent une image claire de ton visage,
du son de ta voix,
de tes paroles,
ton rire,
de qui tu as été il y a 30 ans, 20 ans, 10 ans, et au moment où ton départ se rapprochait.

Qu’est-ce que je dois faire de tout ça?

J’ai l’impression de ne pas avoir assez d’espace en moi pour ressentir tant de peine. Je manque d’espace pour storer toutes mes questions, mes souvenirs, et la vérité, c’est que je refuse d’avoir à te dire au revoir. J’ai beau avoir eu le temps de m’y préparer, mon corps et mon coeur disent non.

Je sais qu’il faut que j’apprenne ce que notre culture se refuse à accepter, ce que ma culture ne m’a pas transmis :

qu’il faut savoir mourir,
qu’il faut savoir laisser mourir,
qu’il faut célébrer le départ de ceux qu’on aime, célébrer ta naissance dans un autre monde, une réalité qui nous est encore incompréhensible.

Vivre et laisser vivre. Vivre et laisser mourir.

Apprendre tout ça, accepter tout ça, malgré moi.

Accepter de te laisser partir, avec tout ce que tu apporteras avec toi de l’autre coté. Faire face à l’espace devant moi, le reste de nos vies, sans toi.

Pars, mais en même temps reste, près de moi, pas trop loins.

Fait moi signe. Dis moi c’est comment de l’autre côté. Laisse pas le silence prendre toute la place. Ne me laisse pas seule face aux mystères de la vie, de l’univers.

Pense à moi qui essaierai de vivre pleinement, la tête remplie de questions.

Pense à moi. Guide moi d’où tu seras.

Je ne t’oublierai pas. Jamais.

Je t’aime.